- Dialogue pas très socratique -

Bonjour Christian,

Je me permets de revenir à nouveau vers toi concernant la façon de « circonscrire » la notion de sujet en psychanalyse. Je ne voudrais pas paraître redondant mais si, en effet, le « sujet de l’inconscient » ne fait pas justice au fonctionnement l’inconscient lui-même, quelle autre expression conviendrait mieux selon toi ? Je pensais hier soir à « sujet du signifiant » mais tout de suite me venait l’idée que ça pourrait perturber le rapport à l’origine freudienne de l’inconscient et – en effet – au principe de jouissance.

Le principal reste évidemment de pouvoir continuer à penser mais je me dis qu’il faudrait avoir sous la main des notions, idées ou concepts plus ou moins précis ou éprouvés afin d’indiquer à nos interlocuteurs à quel endroit ils « ramènent » le sujet ou la subjectivité à son impasse communicationnelle et « non-barrée ». Ça demande évidemment une gymnastique continue mais tant que la distinction Moi/Ego/Je et Sujet n’est pas clairement établie – ce qui est évidemment impossible à la rencontre d’autres disciplines ou du langage courant – on n’en aura pas fini !

Enfin, je m’emballe, ma question de base est simplement : quelle expression remplacerait le mieux selon toi celle de « sujet de l’inconscient » ?

Amicalement,

Bonjour Micha,

Très bonnes questions tout cela. Forcément, je ne peux répondre que de mon point de vue. À toi la suite.

Pour le premier paragraphe, effectivement « circonscrire » entre guillemets et « expression » pourrait l’être aussi. Pour moi, je vois le « principe de jouissance » bien entendu comme principe et donc pas comme concept, fonctionnement qui, toujours mal compris, doit être « corrigé » (par « Sade ») pour le reprendre à partir de son faire, lequel suppose toujours l’objet a dans sa quatrième forme (autrement dit « le « vocal » »), et c’est à mon sens tout le sens et je dirai même l’unique sens de l’invention de l’objet a par Lacan. Autrement dit, à la place du « sujet de l’inconscient » qui suppose immanquablement un substrat, un support ou un supposé, nous aurions le principe de fonctionnement (Kant) lequel ne peut se comprendre qu’à partir de l’objet a en acte, fondamentalement l’objet a dans sa quatrième forme, rien radical ou nihil negativum. C’est tout le propos de mon « principe de jouissance » tu l’auras deviné.

Pour la distinction Moi / sujet (etc.). Je pense qu’il faut d’abord revoir l’image courante que l’on se fait d’un Moi imaginaire, sac, poche, image, etc. Dans « Pour introduire le narcissisme », Freud introduit très clairement le Moi = le développement du Moi (en gros ce que j’ai raconté à Paris au WE de I-AEP sur ADW). C’est ça qui commande toute la deuxième topique (et notamment le processus de formations des foules, cf. Psychologie des masses et analyse de Moi). Quel rapport avec l’inconscient ? C’est en reportant mon petit schéma (Moi, Moi idéal, Idéal du moi) en amont de tout Moi conscient et de tout sujet, que l’on peut comprendre que l’inconscient fonctionne toujours déjà selon ce schéma (ça s’appelle alors le Ça).

Naturellement ce schéma ne fonctionne convenablement que si l’on installe au cœur de chacun de ces degrés du Moi (Stuffen : Moi, Moi idéal, Idéal du Moi) le rien absolu, qui permet de fonctionner et qui implique question et décision (Heidegger).

Pour l’ego, c’est une construction (comme tout le reste) qui est réponse à un simple enchaînement du symbolique et du réel (comme si le symbolique était la canne à pêche qui nous permet de pêcher le poisson du réel), l’ego est le nœud qui rattrape l’imaginaire (voir fin du séminaire XXIII et celle de ma « lecture du sinthome »).

Les trois questions sont intimement liées et l’on ne peut pas dire : ça c’est le « sujet », ça c’est le « sujet de l’inconscient », ça c’est « Ego », ça c’est le moi, etc.

Amitiés,

En effet, ça éclaire bien mes idées, merci beaucoup !

La distinction du concept (en tant que principe) est ici également primordiale. Certainement lorsque le travail est guidé par des penseurs d’une immanence – avec Spinoza ou Deleuze notamment – qui devraient donc à cet endroit, le cas échéant, réaffirmer l’apport de la transformation en concept ou du passage par celui-ci. Ou en tout cas son apport dans la théorie ou pratique psychanalytique. Je fais le lien car Deleuze semble justement tenter de réhabiliter le « concept » dans sa philosophie (non sans lien avec la psychanalyse). Cela, il me semble, justement à l’endroit de la production ou de la création.

La première chose qui me vient néanmoins par rapport à cette dernière opposition (immanence/transcendance mais plutôt « opposition » tout court peut-être ?) est qu’elle ne peut que me ramener à l’impossible à dire inhérente à chacune. Son point de butée… Mais pas seulement inhérente à chaque approche « à part » ! À l’inverse, justement dans ce qu’elles disent de l’impossible à exprimer de l’autre. C’est généralement comme si une approche excluait l’autre par nature/essence alors que c’est justement là qu’elles pourraient – lorsque bien exprimées une fois « réconciliées » ? – s’accorder autour d’un réel (comme impossible) commun et de ses effets, notamment à l’endroit de la distinction sujet/objet. J’accentue la métaphore : c’est comme si on pouvait « couper » un bout dans chaque approche constitutive, merci Lacan pour la coupe « möbienne » comme acte, et remplacer dans cette réflexion (il y a déjà là dédoublement donc) un des deux versants – intérieur/extérieur – par celui de l’autre. Là c’est évidemment l’apprenti sorcier qui parle, de là où ça chipote…

Je ne vais pas me lancer ici mais la plus belle métaphore qui me vient à ce niveau est l’opposition ou plutôt la contradiction dans ce qui sépare les modèles « standards » de la physique. Admettons que la relativité générale l’emporte – mais uniquement comme métaphore « primordiale » dans la temporalité de sa réflexion. Elle doit néanmoins accepter d’exister avec quelque chose à l’intérieur d’elle-même en plus qu’elle-même, fonctionnant selon un principe différent, l’autre (versant) de la (même) physique. Comme dans n’importe quelle rationalité, la limite de notre pensée ne doit pas nous arrêter, sinon c’est le « point mort ». Dans la physique traditionnelle (non-quantique donc) cette limite prend la forme d’un « trou noir » selon l’expression consacrée. Ce qui est ici fascinant, et pour ne prendre qu’un infime détail, c’est qu’à la « limite » du trou noir – ce qu’on appelle « l’horizon des événements » – lorsque la matière est aspirée dans le Trou (comme métaphore ?), se produit une inversion des notions traditionnelles d’espace-temps. Le rapport s’inverse, non sans une certaine ironie je trouve… Les physiciens qui doivent l’expliquer le font avec un sourire aux lèvres un peu gêné… Aussi (justement) impossible que ça puisse paraître – et invérifiable expérimentalement – le corps ou l’objet aspiré dans le trou noir serait soudainement pris littéralement dans une contradiction. Ce n’est pas rien de faire reposer la réalité toute entière (l’Univers) sur quelque chose d’incomplet dont les données fondamentales s’inversent à la rencontre de (la fonction de) son « bord » !

Ma thèse actuelle – enfin l’idée qui passe par là – n’est évidemment pas physique (je n’y connais presque rien) mais bien langagière ! J’ai l’impression que l’impossible à dire psychanalytique – le trou dans le symbolique – se (re-)trouve littéralement dans notre manière d’appréhender la physique, et donc la science, de la manière la plus fondamentale. Serait-ce à nouveau ici une « preuve » ou une « trace » de la primauté du signifiant ? Non pas comme substance matérielle justement (ne va-t-on pas là, entre autres, dans le sens de Heidegger ?).

La « matière » et son organisation découlerait ici (et ailleurs) de notre manière de l’exprimer (et de ses limites). C’est là qu’une certaine réflexion autour d’un nouveau paradigme langagier – une lalangue ? – pour la science aussi, pourrait-être plus que bienvenue. D’ailleurs la lutte signifiante, d’une certaine manière, semble « toujours déjà » présente en physique également. Chaque théorie physique reflète sa façon d’exprimer (avec son impossible à dire – son inconscient) la réalité, comme langage avec à chaque fois une certaine poésie, ou poïétique, propre… À nous de ne pas tomber trop vite dans le piège d’« Une » réalité particulière.

Pour rebondir une dernière fois sur la métaphysique, je pense par exemple que je peux actuellement défendre une sorte de primauté chrono-logique de la transcendance (donc son caractère essentiel) mais en même temps comprendre la défense ou le désir d’une immanence, comme « sortie » du transcendantal. Certes pas pour y arriver, ce serait impossible, mais comme levier. La castration comme métaphore d’une pulsion de mort, principe de répétition créateur ? Enfin, « j’associe librement » donc je vais m’arrêter mais il me semble intéressant d’imaginer une certaine « direction » associée à chaque mode de pensé (une chiralité ?). Comme si le transcendantal invitait à penser de l’extérieur vers l’intérieur et l’immanent de l’intérieur vers l’extérieur. Encore une fois, ce serait vite ou complètement insignifiant si les articulations qui en ressortaient n’en étaient pas imprégnées, marquées. Sans l’exprimer ici, il me semble qu’il y a là aussi une rencontre et une contradiction intéressante qui pourrait se faire entre Orient et Occident…

Concrètement, pour revenir à la méfiance à l’endroit du « sujet de l’inconscient », lorsqu’on veut s’adonner à la théorie ou emmener la réflexion psychanalytique dans un champ symbolique – par sa transmission (associative, universitaire, …) – il me semble qu’il ne faut jamais hésiter à réinterroger la « position du sujet » (et sa subversion), dans son propre discours autant que celui de l’autre, en ravivant la question notamment au travers des trois niveaux que tu reprends plus haut. Ça peut parfois paraître lourd ou redondant face à des figures professorales mais on ne « perd » jamais vraiment de temps lorsque cette question émerge. Et il serait fou de croire que des étudiants ou des novices, quel que soit leur niveau d’études, perçoivent automatiquement le glissement à l’œuvre en permanence… J’en profite, pour terminer, de dire qu’en effet ton « principe » de jouissance me semble absolument approprié et que l’expression pourrait être utilisée de la même manière à l’endroit de l’inconscient.

Ce qu’il nous faut finalement, pour reprendre ma question initiale, sont peut-être moins des notions, idées ou concepts, qu’une « simple » boussole dont on réapprendrait l’usage en permanence en la secouant à la recherche du Nord (magnétique) ?

À suivre…